Nous sommes en 1418,
par un beau matin, ma mère me met au monde et me voilà hurlant déjà à pleins poumons.
Conrad Von Reinhardstein.
Non, je ne suis pas noble de naissance.
Mon grand-père avait dix ans quand le Seigneur Renuwar de Waimes le surprit à braconner dans ses bois pour subvenir aux besoins de sa famille.
Il le prit avec lui sur son gigantesque Frison, le ramena auprès de sa mère et leur apprit à lire à tous les deux, patiemment, lettre à lettre, comme pierre à pierre se construisait son château.
Grand-père Moritz, en grandissant à l’ombre des tours de Reinhardstein apprit un bon métier : celui de forgeron. Il trouva ensuite femme parmi les ouvrières et mon père naquit bientôt, lui qui fut davantage séduit par l’éclat du fer des armes que par celui des pentures et des outils.
Moi, je tiens un peu des deux. De ma mère, aussi, qui tenait taverne en chantant de jour comme de nuit pour faire patienter les clients de l’aïeul.
J’ai vite appris le maniement de l’arc, de l’épée et même celui du canon, avec un mercenaire artilleur qui s’était pris d’amitié pour moi et nos forêts où il aimait à promener ses chiens…
Comme une sorcière ou prétendue telle sévissait chez nous, et que je connaissais les environs, on m’a chargé de la traquer, ce que j’ai fait, et bien fait, ma foi.
C’est en la conduisant sur un bûcher dressé à la hâte par des villageois pris de frénésie vengeresse qu’il m’a fallu tout apprendre du métier de bourreau.
Las, moult compagnons pourront témoigner que je fus impuissant à lui lacer les poignets autour du pilori tant ses paroles mystérieuses résonnèrent à mon oreille et tant ses yeux jetèrent le trouble en mon cœur.
Au lieu de faire mon office, j’ai sauté dans les fagots déjà brûlants, poursuivi par les imprécations de cette femme et quand au terme d’une course folle qui nous entraîna jusque dans la plus haute tour, je me suis retourné, elle avait disparu.
Depuis ce jour, mes compaings me surnomment « Dragon ». Il paraît que c’est à un tel monstre que je ressemblais, bondissant et soufflant dans les flammes.
Je n’ai jamais pu oublier la femme aux cheveux couleur corbeau qui m’a si bien fait perdre le goût de l’injustice avant de disparaître comme par enchantement.
Je me bats ou je chante parfois en me souvenant d’elle.
Et pour qu'on se souvienne de moi, j'ai créé en l'an de grâce 1448 mon propre blason tranché d’or et de gueules au dragon rampant d’or et flammé de même. S'y rallient ceux qui veulent apprendre et créer, pour que l'injustice meure à jamais.